La ville intégrée et complexe exige des nouvelles compétences de gestion. Les collectivités auront-elles les moyens de les assumer ?
« Qui aura les clefs de la ville clefs en main ? » interroge Isabelle Baraud- Serfaty, consultante en urbanisme et fondatrice d'ibicity. Les collectivités se défendent de les confier à des groupements privés. Elles choisissent pourtant souvent un mandataire unique chargé d'organiser lui-même ses co- ou sous-traitants pour répondre à toutes les fonctions urbaines et en inventer de nouvelles. En France, les groupes de BTP ou les promoteurs adossés à une banque remportent souvent ces grands appels d'offres portant sur un quartier entier. Ces professionnels de l'immobilier poursuivent des objectifs de court terme : construire, vendre et recommencer ailleurs. A l'avenir, ces acteurs traditionnels, dont le chiffre d'affaires lié au béton ou à la commercialisation de logements baisse au profit des services, pourraient être évincés au profit d'autres acteurs maîtrisant la collecte et le traitement de l'information, y compris publique. IBM et Google ont développé des filiales liées à la ville et à la maison connectées et se positionnent sérieusement sur ce domaine.
Des "concept villes" encore en rodage
Que se passe-t-il après ? Une fois le quartier construit, les appartements, les surfaces de commerce et de bureau vendues ? Qui pilotera cette ville complexe ? « Nous ne sommes pas une foncière, explique Hervé Gatineau, le directeur des grands projets d'Eiffage, chargé de « Smartseille » (lire ci-dessus). Nous n'avons pas vocation à gérer les équipements une fois qu'ils sont achevés et livrés. » Les espaces publics et les équipements publics seront rétrocédés à la ville. Qu'en est-il des systèmes innovants ? Quid des « concept villes » expérimentés pour la première fois, parce qu'il faut bien commencer un jour. Contre qui se retournera l'administration si l'exploitant de parkings mutualisés fait faillite et disparaît avec son logiciel ? Si la dépollution par les champignons ne fonctionne plus, faute d'entretien ou pour toute autre raison, si les techniciens de la collectivité sont incapables de remettre en état les systèmes de Li-Fi utilisés par l'éclairage public, qui gérera et entretiendra les flottes de voitures électriques partagées ?
Bouygues Immobilier a créé Nextdoor, une marque du groupe, constructeur et gérant d'espaces de co-working, comme Nexity et Blue Office. Ces promoteurs ainsi que quelques foncières, comme Icade ou Gecina, intègrent en les incubant ou en les rachetant les start-up qui peuvent révolutionner la manière d'utiliser les transports, l'énergie, les services publics, via des infrastructures réelles ou des applications numériques. Plus classiquement, Eiffage associe à la programmation des immeubles, avant même leur construction, les syndics qui devront gérer les copropriétés.
En bout de chaîne, usagers et habitants risquent de faire les frais de ces prototypes encore en rodage. A moins qu'on leur demande aussi leur avis, ce qui arrive de plus en plus fréquemment. Ils auront en tout cas en mains les outils numériques pour plébisciter les systèmes efficaces en les utilisant ou les sanctionner en les contournant.
Catherine Sabbah, Les Echos